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La Petite Maison dans le Cantal
6 octobre 2013

Vis ma vie de Mireille Dumas

vieux amants

 

Comme prévu, Enguerrand a grogné quand je l'ai réveillé, Gersande était toute étonnée et Guilherm a eu du mal à faire surface.

Comme prévu, je n'avais pas de code informatique, pas d'informatique du tout d'ailleurs, j'ai récupéré les clefs mais pas les codes des alarmes, je n'ai pas pu entrer.

Comme prévu, il y a eu les problèmes des riches et les problèmes des pauvres, beaucoup plus des seconds que des premiers.

Comme prévu, il y a eu ceux qui étaient contents de me revoir et ceux qui ne l'étaient pas.

Ce que je n'avais pas prévu parce que je n'y pensais plus, ce sont toutes les confidences que me livrent mes clients. J'ai des clients qui parlent beaucoup de leurs vies privées, intimes. Ca peut paraître bizarre et cela étonne beaucoup Pascal mais c'est ainsi. Mes clients parlent, se confient entre un prêt et un placement assurance-vie et moi, j'écoute. Ce n'est pas évident d'écouter. Je n'ai pas toujours envie d'absorber toutes ces bribes de vie. Cette semaine, j'ai reçu une mère désemparée par les récentes tentatives de suicide de son fils de 20 ans, j'ai reçu un mari et un père qui ne comprend toujours pas pourquoi sa femme est partie après 15 ans de mariage avec leur petite fille de trois ans, j'ai reçu un fils en deuil de son père, une mère qui espère que son fils et sa belle-fille se réconcilieront pour leurs deux petits enfants... la liste est déjà longue.

J'avais pensé à plein de choses mais, cela, j'avais oublié. J'avais oublié qu'en plus du stress d'un boulot commercial, objectivé où les clients demandent toujours plus de réactivité "Bonjour, je voudrais un prêt pour hier", il me fallait prendre de la distance avec la souffrance des autres. Parfois, je sors vidée un peu sonnée de certains rendez-vous. Ce n'est pas forcément ceux qui s'épanchent le plus qui m'émeuvent fortement. Je revois ce mari, plein de dignité, qui se demande comment il va vivre sans son amour de 50 ans. Il ne le dit pas, je le lis dans son regard perdu, dans ses gestes ralentis, ses mots hésitants. Une souffrance résignée qui se console en pensant qu'il n'en a plus pour longtemps et qu'il la retrouvera bientôt mais qu'il faut tenir un peu, pour les enfants, mais pas trop longtemps quand même. Il ne veut pas être une source de tracas. J'en croise parfois, de ces âmes soeurs, perdues l'une sans l'autre. Il n'est plus vraiment là celui qui reste, il regarde déjà vers ailleurs.

Je ne sais pas ce qui est le plus triste: la souffrance de ces personnes qui ont eu la chance de vivre cet amour ou le fait qu'ils soient si peu nombreux?

Moi, égoïstement, je ne veux pas être celle qui reste. Je sais, que statistiquement, c'est mal barré. Je ne veux pas être une veuve joyeuse, ni une veuve malheureuse, même à 95 ans. Je ne veux pas être une veuve tout court. Il va donc falloir trouver un moyen de mourrir ensemble: un accident de voiture, un crash aérien, une intoxication au monoxyde de carbone? Ou bien avant. Enfin, bon, on ne va pas y penser maintenant, hein? Je crois, j'espère qu'on a encore le temps.

Ils sont émouvants ces vieux amoureux aux cheveux blancs qui ont les mains qui tremblent autant de détresse que de vieillesse. Je meurs d'envie de les questionner, de connaître leur secret, celui de l'amour qui dure toujours. Est-ce que je mets seulement une pincée de patience et beaucoup d'attentions ou bien un soupçon de routine et des tonnes de passion? Ca ne peut pas être que la force de l'habitude qui les laisse aussi désemparés que des petits enfants sans les bras de leur maman. Alors, quoi? une sorte de pierre philosophale?

Un jour, il faudra que j'ose. Ils me regarderont sans comprendre, se lèveront avec peine de leurs fauteuils et quitteront mon bureau en pensant qu'elle est bien gentille cette banquière mais un peu bizarre quand même. Mais peut-être qu'un jour, une vieille dame élégante aux yeux délavés relèvera sa tête alourdie par la peine, qu'elle me regardera bien en face et j'espère qu'elle oubliera la banquière pour ne voir qu'une femme qui espère que l'amour qu'elle vit durera toute la vie et plus encore, bien après la mort. Elle me racontera qu'elle a rencontré son mari à 20 ans, qu'ils ont eu 4 enfants, qu'ils ont eu une vie douce et heureuse, qu'ils l'ont vécue à deux, simplement, sans se poser de question et que le bonheur a coulé, sans discontinuer. Ou bien, elle me dira qu'elle l'a cherché longtemps, qu'elle s'est mariée trois fois avant de le trouver, que leur relation a été tumultueuse, jalonnée de disputes orageuses, qu'ils se sont séparés 20 fois mais se sont retrouvés 21, qu'enfin de compte ils ne pouvaient pas vivre l'un sans l'autre. Et que là, justement, tous les jours, elle l'attend parce qu'il revient toujours, n'est-ce pas?

J'espère qu'un jour nous serons comme dans cette chanson des vieux amants et que "de l'aube claire jusqu'à la fin du jour" nous nous aimerons toujours.

 

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