La phase de la Mort

extrait d'une conversation de Numérobis hier soir:

"Tu sais, en fait, mon ami,...

-quel ami?, je l'interromps

-ben, tu sais, celui qu'est vieux!!

- celui qui est vieux?

-ben, oui, tu sais, celui qu'est vieux et qui est mort!!!" s'énerve-t-il.

Non, franchement là, maman voit pas et est très inquiète subitement. Ca fait un peu "6ème sens", non?

Déjà que pendant le repas du midi, il y avait eu ça: "maman, quand est-ce qu'on sera tous morts? Quand on sera vieux! allez, mange tes haricots verts!" Numérobis ou comment plomber l'ambiance en 3 secondes.

Depuis quelques temps, il y avait eu des signes précurseurs mais là, il faut se rendre à l'évidence, nous sommes en plein dedans: la phase de la Mort. Oui oui, de la vraie mort et pas par exemple, la phase prout de la mort.

A 4 ans, comme son grand frère Enguerrand, Guilherm prend conscience du caractère éphémère de la vie. Et nous, bah nous, si c'est comme pour Enguerrand, on va la sentir passer.

Premièrement, un enfant qui traverse cette phase, parle beaucoup de la mort et pose beaucoup de questions. Elles sont parfois pleine de bon sens:

" Mamie, c'est pour combien de temps qu'elle est morte?

-c'est pour toujours, mon loulou.

-ah, c'est pour tous les jours, alors?" m'a répondu un petit Guilherm, tout étonné. En effet, il faut leur expliquer que la mort est irrévocable. Ce n'est pas une évidence pour eux.

Elles peuvent être parfois très gênantes, dans certaines situations:

" Maman, t'as vu la vieille dame devant nous, elle est très très beaucoup vieille, elle va bientôt mourir? (version clairon dans la file d'attente aux caisses)

-il y a de grandes chances, mais s'il te plaît, parle moins fort, hein?" (Après tout, je ne suis pas sûre qu'elle soit complètement sourde.)

Elles peuvent intervenir à tout moment:vous êtes en train d'habiller votre enfant le matin, vous speedez parce que vous êtes à la bourre quand soudain:

"et toi, maman, quand est-ce que tu vas mourir?

-quand je serai très très vieille et toi, à ce moment-là, tu seras très, très grand et adulte" (ou dans moins d'une demi-heure si j'arrive encore à la bourre, trucidée par mon patron, pensez-vous).

Eh oui, car ce qui angoisse le plus votre enfant, c'est votre mort, celle du papa, des amis et de la famille très proche et surtout la sienne. Sur ce sujet, il faut l'avouer, on est tous assez égocentrique.

Deuxièmement, qui dit angoisse dit cauchemar donc nuit pourri pour lui à base de monstres, loups en tout genre qui envahissent sa chambre et pour vous, pour vous, ah, comment dire? c'est votre vie qui va devenir un cauchemar!! Votre enfant a peur de dormir donc de s'endormir, le rituel du coucher va prendre des allures de commando, les nuits seront hâchées par des cris stridents et des sanglots déchirants, votre visage présentera une similitude troublante avec celui du héros de votre enfance, j'ai nommé Pandi Panda, petit ourson de Chine. Certains seront obligés de se livrer à la chasse aux monstres pré-endormissement: fouiller le placard, l'armoire, chopper un lumbungo en regardant sous le lit,...

Troisièmement, il vaut mieux, pour vous et pour toute la famille, que vous ne soyez pas dans un passage de déprime ou de stress parce qu'entendre parler de la mort à tout propos et souvent de la sienne, ce n'est pas très efficace thérapeutiquement parlant.

Si Enguerrand était très angoissé, Guilherm semble le prendre de manière beaucoup plus ... boudhiste: " Avant d'être mort, j'étais une fille!" La première fois, ça paraît étrange et puis on s'habitue. Enguerrand, au même âge, inventait tout un tas d'histoires abracadabrantes. Je me souviens quand le parrain de Guilherm était venu les garder pendant notre absence et que Enguerrand lui avait livré cette petite histoire:

"Alors, ils ont pris des grands couteaux..

-Mais qui ça, ils?

-Ben papa et maman!! Et ils m'ont coupé les oreilles avec!

-n'importe quoi, Enguerrand!! elles sont toujours là tes oreilles!

-Si, ils l'ont fait, même que ça m'a fait drôlement mal quand elles ont repoussé!"

Je vous avoue que, pendant les quelques mois qu' a duré cette phase, à chaque coup de sonnette, j'avais peur de voir débarquer les services sociaux. Il faut dire qu'il pouvait débiter les mensonges les plus improbables avec une telle candeur! Il se faisait des films auxquels il croyait dur comme fer. En quelques mois, il a fait mourir au moins la moitié de nos connaissances et de ses camarades de classe. L'autre moitié était soit à l'hôpital ou devait faire face à des malheurs effroyables.

Alors, si Numérobis décide de croire en la réincarnation et que cela l'aide à passer le cap, pourquoi pas? de toute façon, à son âge, il ne rentrera pas un jour de l'école, vêtu d'une toge ocre, la boule à zéro, les mains jointes et psalmodiant des chacras, non? 

Et vous, comment vous gérez? comment vos enfants l'expriment-ils? J'avoue que partager un peu sur le sujet ça m'intérresserait.

Comments

[kalou]

Je retrouve des moments vécus avec mes enfants, l'ainé à 4 ans voulait visiter 'les petites maisons'" dans les cimetières et me demandait en voyant une mamie arroser les fleurs d'un caveau : elle a la télé dans sa petite maison ? ou elle sort tous les jours ?

Ma fille (au même age) en passant tous les jours devant un magasin de pompes funèbres en nous rendant à l'école (pas possible de l'éviter) se plantait devant la vitrine et me choisissait avec amour les fleurs en céramique qu'elle m’offrirait quand je serais morte ! ... depuis c'est moi qui ne supporte pas d'offrir une plaque ou des fleurs artificielles lors d'obsèques ...